Les volatiles du titre sont deux
frères inséparables. Même adultes, après la mort de leurs parents, ils
ne quittent pas le nid familial. L'aîné est un saint François d'Assise
dont les habitudes effraient le voisinage : depuis l'enfance, il ne
parle que la langue des oiseaux, et n'a d'autre vie sociale que l'achat
hebdomadaire d'une sucette à la pharmacie du coin. Le cadet chaperonne
son grand frère, dont il est le seul à comprendre les borborygmes, et
travaille pour deux comme gardien d'une luxueuse propriété.
La Japonaise Yôko Ogawa dissèque la relation fusionnelle de ces deux
êtres avec son habituelle clairvoyance. Elle fait son miel de leurs
bizarreries pour chuchoter son message de toujours : certains vivants,
dont elle fait partie, ont des antennes pour capter l'inaudible,
l'incompréhensible, l'inconcevable. Ici, ce sont les oiseaux qui
communiquent leur savoir, créatures venues de cieux aussi limpides
qu'asphyxiants. Même serrés au creux des mains des morts, ils continuent
de vivre et de chanter leur supériorité sur les hommes.
Yôko Ogawa avait déjà sondé le mystère du magnétisme animal, triomphant de la bêtise humaine, dans son dernier livre, Le Petit Joueur d'échecs,
où un éléphant passait sa vie au dernier étage d'un grand magasin pour
distraire les clients. Ici, elle va encore plus loin, et dépeint des
hommes-oiseaux en mutation, battant des ailes pour s'évader de leur
condition humaine, à côté d'animaux hybrides, gorgés de substances
organiques venues des hommes, comme ce grillon dont un vieux monsieur
enduit les ailes de sébum de petite fille pour qu'il chante mieux.
Mélange de crudité morbide et de légèreté poétique, l'écriture de
Yôko Ogawa brille par sa simplicité, comme celle de Haruki Murakami, son
écrivain préféré, dont elle partage l'attachement à un organe :
l'oreille, à la fois dotée de capacités hors du commun et révélatrice
des fragilités des êtres.
Le 22/11/2014 - Mise à jour le 18/11/2014 à 14h55 Marine Landrot - Telerama n° 3384
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Il est le seul à pouvoir apprendre la langue pawpaw afin de communiquer avec son frère aîné, cet enfant rêveur qui ne parle que le langage des oiseaux, n’emploie que ces mots flûtés oubliés depuis longtemps par les humains. Après la mort de leurs parents, les deux hommes demeurent ensemble dans la maison familiale. D’une gentillesse extrême, l’aîné, qui ne travaille pas, se poste chaque jour tout contre le grillage de la volière de l’école maternelle. Peu à peu, la directrice remarque son calme rassurant pour les oiseaux, sa façon subtile de les interpeler, et lui confie l’entretien de la cage. Quant au cadet, régisseur de l’ancienne résidence secondaire d’un riche propriétaire du pays, le jardin de roses, les boiseries des salons, la transparence des baies vitrées sont à la mesure de son attachement pour les lieux de mémoire. Parfois, les deux frères décident de “partir en voyage”. Valises en main, ils font halte devant la volière. Ravis de palabrer avec les moineaux de Java, les bengalis ou les canaris citron, ils oublient dans l’instant tout projet de départ. Un jour pourtant le calme du quartier semble en danger, une enfant de l’école disparaît. Petits oiseaux est un roman d’une douceur salvatrice qui nous confie un monde où la différence n’influe pas sur le bonheur, où la solitude conduit à un bel univers, un repli du temps préservant l’individu de ses absurdes travers, un pays où s’éploient la voix du poème, celle des histoires et des chants d’oiseaux, celle des mots oubliés.
Description:
Roman
Les volatiles du titre sont deux frères inséparables. Même adultes, après la mort de leurs parents, ils ne quittent pas le nid familial. L'aîné est un saint François d'Assise dont les habitudes effraient le voisinage : depuis l'enfance, il ne parle que la langue des oiseaux, et n'a d'autre vie sociale que l'achat hebdomadaire d'une sucette à la pharmacie du coin. Le cadet chaperonne son grand frère, dont il est le seul à comprendre les borborygmes, et travaille pour deux comme gardien d'une luxueuse propriété.
La Japonaise Yôko Ogawa dissèque la relation fusionnelle de ces deux êtres avec son habituelle clairvoyance. Elle fait son miel de leurs bizarreries pour chuchoter son message de toujours : certains vivants, dont elle fait partie, ont des antennes pour capter l'inaudible, l'incompréhensible, l'inconcevable. Ici, ce sont les oiseaux qui communiquent leur savoir, créatures venues de cieux aussi limpides qu'asphyxiants. Même serrés au creux des mains des morts, ils continuent de vivre et de chanter leur supériorité sur les hommes.
Yôko Ogawa avait déjà sondé le mystère du magnétisme animal, triomphant de la bêtise humaine, dans son dernier livre, Le Petit Joueur d'échecs, où un éléphant passait sa vie au dernier étage d'un grand magasin pour distraire les clients. Ici, elle va encore plus loin, et dépeint des hommes-oiseaux en mutation, battant des ailes pour s'évader de leur condition humaine, à côté d'animaux hybrides, gorgés de substances organiques venues des hommes, comme ce grillon dont un vieux monsieur enduit les ailes de sébum de petite fille pour qu'il chante mieux.
Mélange de crudité morbide et de légèreté poétique, l'écriture de Yôko Ogawa brille par sa simplicité, comme celle de Haruki Murakami, son écrivain préféré, dont elle partage l'attachement à un organe : l'oreille, à la fois dotée de capacités hors du commun et révélatrice des fragilités des êtres.
Le 22/11/2014 - Mise à jour le 18/11/2014 à 14h55
Marine Landrot - Telerama n° 3384
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Il est le seul à pouvoir apprendre la langue pawpaw afin de communiquer avec son frère aîné, cet enfant rêveur qui ne parle que le langage des oiseaux, n’emploie que ces mots flûtés oubliés depuis longtemps par les humains. Après la mort de leurs parents, les deux hommes demeurent ensemble dans la maison familiale. D’une gentillesse extrême, l’aîné, qui ne travaille pas, se poste chaque jour tout contre le grillage de la volière de l’école maternelle. Peu à peu, la directrice remarque son calme rassurant pour les oiseaux, sa façon subtile de les interpeler, et lui confie l’entretien de la cage. Quant au cadet, régisseur de l’ancienne résidence secondaire d’un riche propriétaire du pays, le jardin de roses, les boiseries des salons, la transparence des baies vitrées sont à la mesure de son attachement pour les lieux de mémoire. Parfois, les deux frères décident de “partir en voyage”. Valises en main, ils font halte devant la volière. Ravis de palabrer avec les moineaux de Java, les bengalis ou les canaris citron, ils oublient dans l’instant tout projet de départ. Un jour pourtant le calme du quartier semble en danger, une enfant de l’école disparaît. Petits oiseaux est un roman d’une douceur salvatrice qui nous confie un monde où la différence n’influe pas sur le bonheur, où la solitude conduit à un bel univers, un repli du temps préservant l’individu de ses absurdes travers, un pays où s’éploient la voix du poème, celle des histoires et des chants d’oiseaux, celle des mots oubliés.